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Maryvonne Le Dizès

 

Maryvonne Le Dizès, pourriez-vous nous retracer brièvement votre parcours ?

Je suis issue d’une famille de 6 enfants, et notre mère qui avait rêvé d’être pianiste ou violoniste a choisi un instrument pour chacun de ses enfants. Après avoir fait un an de piano j’ai donc débuté le violon à 5 ans avec Yvonne Blot qui était un jeune professeur dynamique dont je garde un très bon souvenir : je pense qu’elle a su me donner non seulement les bases instrumentales, mais aussi le goût de la musique et de la scène. Au passage, je crois que c’est très important d’avoir au début un professeur qui cadre bien, qui enseigne bien. J’ai ensuite continué un peu avec Victor Gentil puis avec Mme Talluel. Malheureusement, la perte brutale de mon père lorsque j’avais 14 ans imposa des restrictions à toute la famille, et ma mère m’annonça que je ne pouvais plus continuer ces leçons privées -à cette époque le seul moyen d’apprendre un instrument puisqu’il n’y avait pas le foisonnement d’écoles de musique que nous connaissons aujourd’hui-, et que je devrais aller au lycée, alors que jusque là j’étudiais au Cours Hattemer avec un programme aménagé. Ce fut un véritable choc et il y eut une forte prise de conscience : je ne pouvais pas vivre sans le violon ; du reste, à partir de ce moment-là il n’a plus été nécessaire de me dire de travailler mon violon, et je décidais de devenir professionnelle.

Après l’obtention à l’unanimité de la licence de concert à l’Ecole Normale de Musique de Paris en 1956, puis du 1er prix dès la première année au CNSM de Paris en 1957 et l’année suivante celui de musique de chambre, j’ai enchaîné sur les concours internationaux : lauréate du concours Marguerite Long-Jacques Thibaud, j’étais en 1962 la première femme à qui l’on décernait le 1er prix du concours Paganini. Je dirais que j’ai reçu deux messages très forts de ma famille : une femme est faite pour se marier, avoir des enfants et s’en occuper, mais elle peut aussi accéder aux joies de la réussite d’une carrière professionnelle. Je me suis donc mariée, et en 6 ans j’ai eu 4 enfants auxquels j’ai décidé de consacrer quelques années -tout en continuant une carrière de musicienne qui soit compatible avec ce choix. Cela ne les a semble-t-il pas dégoûtés de la musique, puisque deux sont aujourd’hui professionnels et les deux autres sont des amateurs passionnés et actifs ! Conciliant pendant une longue période la vie familiale avec les concerts, les tournées des Jeunesses Musicales, l’enseignement et l’activité de violon solo dans différents orchestres de chambre, il m’a bien fallu reconnaître qu’il était temps que je me remette à travailler mon violon. J’ai eu la chance de rencontrer Myriam Solovieff qui m’a permis de retravailler tout le répertoire classique. J’ai donc ainsi pu jouer en concert tous les concertos du répertoire ainsi que l’intégrale des sonates de Beethoven et des sonates et partitas de Bach, les sonates de Prokofiev, Brahms etc. Depuis 1979 j’enseigne au CNR de Boulogne-Billancourt, à l’époque, Alain Louvier en était le directeur, et comme il demandait chaque année un morceau contemporain, je décidais de mieux connaître cette musique afin de pouvoir l’enseigner. Ce fut une révélation, cela me passionnait et me convenait tout à fait. J’ai donc présenté le concours de l’Ensemble Intercontemporain et j’y suis rentrée il y a maintenant 20 ans. En 1983 j’obtenais le grand prix International American Competitions au Carnegie Hall Rockfeller Fundation à New York, puis en 1987 le grand prix de la SACEM. J’exerce aussi une activité de chambriste au sein du trio EIC, du quatuor Cappa et du sextuor Schoenberg.

Comment le violon est-il entré dans votre vie ?

Ce n’est pas moi qui ai choisi le violon, c’est peut-être lui qui m’a choisi. Comme je vous le disais, j’avais un merveilleux professeur. Je ne sais pas si j’étais douée mais c’est ce que ma famille et mes professeurs me disaient, pendant de longues années je l’ai cru et cela a été un moteur formidable : car si je faisais du violon par plaisir, j’en faisais très régulièrement avec une mère qui exigeait du travail journalier. Je m’exerçais entre 1/2 heure et 3 heures par jour dans les premières années, puis pendant 10 ans : 5 heures par jour, 6 jours sur 7 avec 2 à 3 semaines de vacances par an. Les dons sont indispensables, mais je crois encore plus au travail, c’est pourquoi aujourd’hui je dirais non, je n’étais pas très douée mais j’avais confiance en mes professeurs et dans le travail. J’aimais jouer et être sur une scène. Je n’avais pas un trac destructeur, au contraire, mon enthousiasme et ma joie me réussissaient. J’ai des souvenirs très gais des auditions avec ma sœur pianiste, habillées avec les robes que nous faisait notre mère, et du succès que nous y avions.

Quels sont les temps forts qui ont marqué l’enseignement que vous avez reçu ?

Je prendrais le terme enseignement au sens large du terme, qui ne se borne pas aux professeurs que l’on a eu mais qui considère aussi les rencontres que l’on peut faire et les expériences que l’on vit. Je dois dire que travailler pendant des années avec Pierre Boulez est une grande satisfaction et un enrichissement permanent. J’ai découvert des œuvres que je ne connaissais pas, c’était un monde nouveau, et puis surtout... le travail avec les compositeurs. J’ai eu la chance qu’ils écrivent pour moi  [1] et c’était là aussi des expériences riches d’enseignement : on travaillait les œuvres ensemble, on les façonnait, je pouvais leur donner des alternatives sur une note, un coup d’archet, etc. J’apprécie vraiment le fait d’être à la création et cela apporte aussi pour la réflexion sur l’instrument, sur ses possibilités expressives ; en dernier lieu, cela donne une grande conscience du respect du texte, tout à fait applicable à tout le répertoire, et je m’en sers beaucoup dans ma pédagogie.

Enseigner à votre tour, cela allait de soi ?

C’est entre 14 et 20 ans, l’époque du conservatoire et celle aussi où je devais commencer à gagner ma vie, que j’ai eu mes premières expériences d’enseignement : j’étais en quelque sorte l’assistante de mon ancien professeur. Finalement oui, cela allait de soi car j’ai toujours aimé enseigner, et même aujourd’hui où se pose la question du cumul, on me demanderait de choisir entre l’Ensemble Intercontemporain et mon poste au CNR de Boulogne (puisque je suis titulaire dans les deux cas), je ne pourrais pas car pour moi c’est un tout. Je ne conçois pas la vie musicale sans jouer et ma vie sans enseigner. Ce n’est pas tellement le désir de transmettre qui me vient en premier à l’esprit, c’est l’échange, le contact, la relation, être là avec eux, les aider... voilà ! J’ai aussi fait travailler des amateurs adultes qui s’étaient regroupés au sein d’une association et qui donnaient des concerts. Ces personnes demandaient les compétences de professionnels, et c’est comme cela que j’ai pu jouer beaucoup de quatuors de Beethoven, Schubert et Brahms. Soit avec des équipes en déchiffrage qui voulaient un 1er violon solide, soit avec des ensembles qui travaillaient : je m’occupais d’eux, entretemps ils travaillaient leurs instruments, se voyaient seuls et ainsi de suite. Cela était en fin de compte plus intéressant que de faire des remplacements dans des orchestres où je n’aurais pas pu vraiment travailler mon violon.

Le contexte musical et éducatif a considérablement changé au cours de ces dernières années. Comment l’avez-vous personnellement ressenti et vécu ?

Oui, je vois bien une évolution, car quand je suis jury dans différents conservatoires, s’il y a de grandes différences de niveaux, en tout cas, je ne rencontre plus ce que je rencontrais il y a quand même pas mal d’années, c’est-à-dire des gens jouant vraiment n’importe comment et je pense que maintenir des examens à la fin de l’année, c’est quand même très bien parce qu’au bout d’un certain temps, s’ils jouent trop mal, s’ils n’aiment pas leur instrument, s’ils ne se tiennent pas bien, on peut les orienter. Il se fait un tri. Il y a maintenant une certaine homogénéité dans la tenue, alors qu’avant, les professeurs enseignaient sans formation, sans contrôle : je pense quand même que le fait de faire une petite sélection a fait évoluer les choses dans le bon sens, même si un diplôme ça ne fait pas tout. Du reste, on peut encore discuter sur les modalités d’évaluation d’un professeur... Je crois que l’examen tel qu’il est aujourd’hui est bien même s’il n’est pas idéal. Mais si l’on voulait faire autrement cela coûterait plus cher et impliquerait beaucoup trop de monde. Le mieux serait de confier une classe au futur professeur, au bout d’un an un jury viendrait écouter les élèves, même chose l’année suivante : au bout de 2 ans on voit bien l’évolution... mais c’est irréalisable. En définitive, puisque les jeunes professeurs ont suivi une formation, ils apportent dans un conservatoire une énergie nouvelle, ou du moins des idées différentes qui font que les anciens sont un peu obligés de se remettre en cause. Sinon, d’autres choses ne changent pas : je pense qu’il y a beaucoup de jeunes qui finalement ont des qualités de musicien, d’expression, mais ils n’ont absolument pas la possibilité et physique et intel-lectuelle de passer des heures et des heures dans une pièce, seuls à travailler. Et c’est vrai que j’en rencontre constamment, des jeunes qui ont 16 ans et qui me disent " je voudrais être violoniste " ; alors je commence par les mettre en situation : " cet été, après 2 semaines de vacances vous faites 5 heures par jour, et après, à la rentrée on en discute... " et très souvent ils me disent " je ne peux pas, je n’y arrive pas, ça ne m’intéresse pas ". Je pense qu’il faut être un peu amoureux de son violon pour pouvoir travailler des heures durant, et avoir un contact physique aussi avec l’instrument : il faut en avoir besoin, enfin moi j’en avais besoin, et j’avais une passion pour le travail.

Des satisfactions, des regrets ?

Je n’ai aucun regret. Si je devais recommencer, je referais tout à l’identique, sauf peut-être, entrerais-je plus tôt dans la vraie vie professionnelle... et je me ferais plus aider matériellement dans les première années de la vie de mes enfants. Certains événements m’ont laissé un souvenir formidable, comme par exemple l’exécution du Poème de Chausson avec orchestre : J’ai eu la sensation de faire musicalement tout ce que je désirais sans effort, car j’avais l’impression d’être dans la salle à profiter pleinement de l’œuvre, si bien que lorsque le public a applaudi, cela m’a en quelque sorte réveillée. C’est une expérience de liberté géniale mais dangereuse. Cela n’est arrivé qu’une seule fois. Il y a eu aussi mon premier disque en 1984  [2]  : j’avais l’impression de faire naître quelque chose. Quant à la finale du concours Long-Thibaud où je jouais pour la première fois avec orchestre le concerto de Brahms, je ne l’oublierai jamais : je crois que c’est le plus beau concerto à jouer avec orchestre. Dans un autre registre, ma rencontre avec Arthur Grumiaux [3] à l’issue du concours Paganini reste l’un des mes plus beaux souvenirs : être invitée à boire le champagne et parler musique avec ce merveilleux musicien c’était quand même quelque chose.

Vos perspectives et souhaits d’avenir...

Aider les jeunes à bien enseigner et organiser de nombreux stages pour la musique contemporaine. Je vois bien, à l’heure actuelle, dès que l’on a besoin de travailler quelque chose en contemporain on téléphone à Maryvonne... et je pense que ce n’est pas normal ! Il devrait y avoir des stages prévus par les organismes de formation permanente ; j’en ai moi-même organisés à la demande de certains professeurs du CNSM. Du reste, même avec mes anciens élèves je me rends compte que j’aurais pu davantage travailler ce répertoire, mais il y a aussi d’autres priorités. Je ne fais donc pas travailler à mes élèves du contemporain à tort et à travers ! En fait, ils sont eux-mêmes intéressés : je leur montre une partition sur laquelle je travaille, ils viennent m’écouter, et dans mes auditions il y a toujours une ou deux pièces contemporaines, je crois surtout que cela apporte une ouverture constante : j’essaie de leur faire comprendre que cette musique ne détruit pas, elle donne des joies et développe la discipline. J’ai la chance de pouvoir concilier l’activité d’interprète avec celle d’enseignante. Ne pas jouer pour un professeur, je trouve que c’est une catastrophe ; bien sûr il y a les concerts de musique de chambre entre profs, mais ce n’est pas suffisant. Il faut qu’ils jouent, qu’ils aient une expérience de la scène, et vraiment ! C’est vrai que j’ai du mal à comprendre pourquoi actuellement on sépare les deux, d’autant plus que -en ce qui concerne le violon- on ne peut pas dire qu’il y ait du chômage. Grâce aux organismes de formation qui sélectionnent, on a développé une catégorie de professeurs qui font bien leur travail, mais je ne peux pas croire que quelqu’un qui pendant 30 ans s’occupera des petits sans faire de concerts gardera le même enthousiasme ; car quand même, le but c’est la musique, c’est s’exprimer. Je pense que c’est très dangereux à longue échéance d’empêcher d’avoir ces deux activités en parallèle. J’irais même plus loin : puisque l’on est mieux payé dans les orchestres, les gens qui sont capables y vont, et l’ensei-gnement, en gros, c’est le 2ème choix. Ceux qui enseignent sont capables de jouer mais on ne leur en donne ni les moyens, ni la possibilité, ni l’opportunité, je le répète, c’est très dangereux. Moi, je ne peux pas choisir entre les deux.

Pour contacter Maryvonne Le Dizès, visitez son site Web : http://mapage.noos.fr/ledizesm/

[1] Gilbert Amy, Joël-François Durand, Jean-Baptiste Devillers, Peter Eotvos, Philippe Fénelon, N’guyen Thien Dao, Isabelle Fraisse, Philippe Schœller.

[2] sur lequel on trouve : La Sequenza de Berio, La Pièce pour Yvry de Maderna et Mikka Mikka’s de Xenakis, Thèmes et Variations de Messiaen.

[3] La rédaction signale un double CD de Grumiaux « indispensable » : Favorite Violin Encores, chez Philips.


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